Les origines des peuples germaniques

 

Rudolf Fellmann

Professeur émérite d'archéologie des provinces romaines à l'université de Berne

L'hypothèse généralement retenue donne aux peuples dits germaniques une origine nordique : ils proviendraient des pays entourant la mer Baltique, plus précisément des territoires actuels de la Suède, du Danemark, du Mecklembourg et du Schleswig-Holstein, avec des extensions en direction de la mer du Nord au niveau des embouchures de l'Elbe et de la Weser, ainsi que vers la Poméranie. Que nous ont appris l'archéologie et les textes, le plus souvent romains, au sujet de ces peuples, de leur culture et de leur rencontre avec la civilisation romaine ?

L'émergence des Germains

C'est à partir de la période qui va de 900 à 1000 av. J.-C. environ que les tribus qui devaient former plus tard les « Germains » commencèrent leur mouvement vers le sud. Ils avancèrent alors en un large front qui couvrait l'aire comprise entre l'axe rhénan et la Vistule. Vers 500 av. J.-C. ils avaient déjà atteint le Rhin dans la région des Pays-Bas actuels. À cette époque, le Rhin ne jouait pas encore le rôle qui fut le sien plus tard, de ligne de frontière abrupte et clairement définie entre les différents peuplements de l'Europe. Ces peuplades venues du nord s'apprêtaient à poursuivre leurs mouvements migratoires vers le sud, c'est-à-dire vers la Gaule. C'est donc à ce moment que les Gaulois entrèrent en contact avec leurs futurs voisins. Les Belgae furent, semble-t-il, les premiers à englober en leur sein un certain nombre de Germains, dont la langue était peu différente du gaulois ; à l'époque de Jules César, les tribus Belgae semblent bien avoir été composées pour moitié de Germains. C'est dans cette région rhénane que l'on vit apparaître le nom des Germains sous la forme de Germani cisrhenani ou « Germains de la rive gauche du Rhin ». On appelait ainsi les tribus des Condrusi, Eburones, Caerosi, Caemani et Paemani rattaché aux Belgae. L'écrivain romain Tacite explique que le mot « Germanie » – Germaniae vocabulum – serait d'origine assez récente et se référerait surtout aux Tongres à qui l'on aurait donné le nom de « Germains » (Tacite, Germanie, 2,3).

Leur nom

La véritable origine du nom de Germains reste encore aujourd'hui peu claire. Leur nom est certainement assez récent et probablement une invention gauloise : fut-il dérivé et adapté par les Gaulois d'une dénomination d'origine germanique, bien vite aussi utilisée également par les Germains eux mêmes ? Il s'agissait pourtant d'un nom qui était très familier aux gens parlant le latin – car germanus signifie dans cette langue « frère légitime » – et qui s'appliqua bien vite à toutes ces peuplades « farouches et sauvages » d'origine nordique que les Gaulois détestaient… Que nous ont appris l'archéologie et les textes, souvent romains, au sujet de ces peuples, de leur culture et des événements qui les mirent au contact de la civilisation romaine ?

Les tribus germaniques face à l'Empire romain

Dans son traité De Origine et Situ Germanorum (Germanie) – rédigé vers la fin du Ier siècle apr. J.-C. – l'historien romain Cornelius Tacite nous propose une origine tripartite pour les peuples germaniques. Il suggère de les répartir entre les trois tribus des Ingévones, des Istaevones et des Hermions (Germanie 3,2), selon les noms des trois fils d'un certain « Mannus » qui auraient donné leurs noms aux groupements respectifs. Ressortissant plus de la légende que de l'histoire, cette division n'a pas de base historique et ne nous aide guère à comprendre leur structure. Tacite s'adressait aux Romains qu'il jugeait avec sévérité et qui, selon lui, étaient devenus inaptes au service militaire. L'intention de son ouvrage était davantage de faire des Germains un modèle de peuple vivant encore selon les lois de la nature, robuste et solide.

Les travaux modernes tendent plutôt à répartir les Germains selon des critères de distribution géographique qui semblent plus logiques. On distinguera donc désormais les Germains de l'Ouest – Alamans, Suèves, Marcomans et Francs –, des Germains de l'Est – Vandales, Goths, Burgondes, Rugiens, Longobards et Hérules – et des Germains de l'Elbe, de la mer du Nord et des Germains nordiques en général.

La frontière romaine se stabilisa sur le Rhin inférieur. Il semble probable que ce soit sous le règne de l'empereur Domitien – la date précise nous échappe toujours – que les deux zones militaires des armées romaines du Rhin inférieur et supérieur furent transformées en provinces de Germania Inferior et Germania Superior, soit Germanie inférieure et Germanie inférieure, suggérant ainsi l'idée que les Germains seraient vaincus définitivement. Cette intégration dans l'empire fut à l'origine d'une vague d'émigration d'un certain nombre de tribus germaniques qui partirent vers le sud-est en direction de la mer Noire. Ce mouvement de migration vers l'est fut peut-être aussi amplifié par des modifications climatiques et par une certaine pression démographique des pays d'origine.

Les invasions germaniques dans l'Empire romain

Ce fut d'abord la pression exercée par les Huns, qui détruisirent au IIIe siècle apr. J.-C. les États des Visigoths et des Ostrogoths, qui fut à l'origine d'une grande vague de migration vers l'ouest contre les limes romains le long du Rhin et du Danube Cette poussée s'étendit ensuite à toute la frontière occidentale de l'Empire romain tandis que s'identifient un ensemble de nouvelles tribus. C'est ainsi que l'on vit les Burgondes s'installer d'abord sur le Rhin avant que les Romains les transfèrent en Suisse romande et vers l'actuelle Bourgogne pour former une « zone tampon » face aux assauts des Alamans. Les Visigoths investirent ensuite tant la Gaule que l'Espagne. Les Vandales s'installèrent en Afrique du Nord, les Alamans en Suisse et en Alsace et finalement les Francs en Gaule centrale. Ces deux derniers groupes de peuples et tribus, Alamans et Francs, ne se formèrent que relativement tard ; les Alamans étaient composés entre autres par les Juthungues et les Sémnons et ils jouèrent un rôle capital dans la grande invasion de l'Empire romain. Avec l'arrivée et la mainmise des « Lombards » ou Longobards en Italie du Nord se termina la période des grandes migrations.

Dans la continuité de ces immenses mouvements de peuples, dans les pays abandonnés par ces tribus germaniques, s'établirent les Hérules et surtout les Rugiens – dont les mouvements et péripéties nous sont décrits dans le texte de la Vie de saint Séverin par Eugippe – et surtout des peuples non germaniques comme les Slaves et les Avares.

L'île de Bretagne enfin fut également envahie par des Germains du Nord, des Danois, des Saxons et des Angles, auxquels l'Angleterre doit son nom, la faisant ainsi rentrer dans l'orbite des pays de langue « germanique ».

L'apport de l'archéologie à la question germanique

Les historiens ont cru longtemps que les groupes culturels de l'âge du bronze nordique ou même des groupements néolithiques de ces régions auraient déjà été de souche et d'origine germaniques. Ces théories fondées davantage sur des principes nationalistes que sur des bases scientifiques ont été depuis longtemps abandonnées par la communauté scientifique. Aujourd'hui l'origine des Germains comme ethnie définie est généralement placée au début de la période dite du fer vers 500 av. J.-C. Ce n'est en effet qu'à partir de cette époque que l'on distingue des groupements archéologiques susceptibles d'être corrélés avec l'extension germanique connue par les sources littéraires. C'est aussi à cette époque que la langue des Germains commence à se séparer par la première transformation de certaines lettres de la langue dite hypothétiquement « indo-germanique ». C'est probablement aussi à ce moment que ces populations proto-germaniques se scindèrent en plusieurs groupements bien définis, dont nous venons d'évoquer les caractères et l'histoire.

L'habitat des Germains

Dans la région que l'histoire et la tradition attribuent aux Germains, ont été mis au jour de nombreux sites d'habitat et nombre de maisons. On constate pourtant l'absence quasi totale de villes, que ce soit dans le sens romain ou dans le sens médiéval de ce terme. Si l'on examine de près le caractère de ces constructions, on remarquera la prépondérance des constructions en bois : les murs comme nous les connaissons aujourd'hui en sont pratiquement absents ; le mot germanique utilisé à cet effet – Wand – désigne de toute façon une construction en bois. Nous connaissons quelques exemples de fermes indigènes isolées et de villages composés de plusieurs de ces constructions agricoles. Le long de la côte de la mer du Nord, dans une région très marécageuse, on a retrouvé des vestiges d'habitats remarquablement bien conservés grâce à leur construction sur des tertres réalisés de mains d'hommes. On notera également l'adaptation par les Germains de techniques de construction romaine le long de la frontière romaine au Danube moyen.

Les sépultures et les cimetières

Du point de vue archéologique les sites funéraires dépassent largement en nombre les vestiges d'habitat germaniques. Notons que la crémation des morts est omniprésente : les ossements calcinés étaient déposés dans des urnes de terre cuite et ensevelies dans des cimetières parfois d'extension très vaste et utilisés pendant des générations. Des bijoux, des éléments de vêtements, des armes et d'autres accessoires étaient parfois insérés dans les urnes. Naturellement on trouve aussi des inhumations, des urnes isolées et de petits groupes de tombes. L'existence de tombes garnies d'un riche mobilier funéraire – objets en or et argent, vaisselle importée des provinces romaines, verres de luxe – permet de suggérer une hiérarchie sociale marquée, surtout dans le cas d'inhumation. S'agissait-il de personnes de rang noble et élevé, voire même de rois ? En tout cas nous voilà en présence de personnes qui auraient joué de leur vivant un rôle important dans la société environnante. Parfois, si l'environnement a été favorable, des objets en bois, tel des lits funéraires, des instruments de musique ou même des métiers à tisser ont pu être préservés dans ces tombes.

La religion des Germains

À part les éléments de superstition religieuse que l'on peut déduire de l'agencement des tombeaux germains ou les dépôts rituels des armes d'ennemis effectués pour célébrer une bataille victorieuse, on ne connaît que très peu d'éléments substantiels sur des cultes germaniques. Selon de nombreux écrivains classiques, les Germains avaient un panthéon composé de nombreux dieux. Tacite en parle en leur attribuant les noms classiques romains et les nomme Mercure, Isis et Mars. Derrière ces dénominations et déguisements se cacheraient Wodan, le dieu suprême, Donar ou Thor, un dieu de l'orage et de l'éclair, et Freja, assimilée à Vénus. C'est d'ailleurs là même que l'on retrouve l'origine des noms allemands et anglais des jours de la semaine, qui nous traduisent ces parallèles. Certaines tribus semblent avoir eu des sanctuaires et lieux de cultes majeurs : évoquons à ce propos l'abattage du chêne consacré à Donar par saint Boniface, fait qui évoque l'existence d'une religion tournée vers des éléments liés à la nature, associés aux dieux à figure humaine.

Rudolf Fellmann

Juin 2003

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Date de dernière mise à jour : 08/01/2016

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