Jacob Burckhardt

 

Burckhardt resta à l'écart de la vie scientifique de son temps : adepte du vivre caché d'Épicure, il privilégia son poste discret à l'université de Bâle (en refusant des offres dans de grandes villes, Berlin par exemple), qui était alors une institution de dimension modeste. Son caractère exprimait naturellement cette discrétion professionnelle : il ne découvrait que rarement ses émotions et sa nature passionnée, qu'il dissimulait sous une douce ironie, ce qui fit dire à Franz Overbeck, dans ses Souvenirs sur Nietzsche que son caractère était quelque peu pusillanime. Il resta toute sa vie célibataire, et trouva dans l'enseignement, selon ses propres déclarations, un « véritable sentiment de bonheur ». Il était un grand ami des chats.

Aux yeux de ses contemporains, Burckhardt fut l'un des esprits les plus cultivés de son temps. Esprit universel, d'une érudition incomparable, il méprisa les philistins de la culture qui font des connaissances historiques une simple connaissance sans vie et un métier comme un autre, et qui s'autoproclament juges suprêmes de l'histoire. Ses écrits et ses cours montrent ainsi un homme attaché d'abord à comprendre la psychologie des hommes du passé, en étudiant leur civilisation dans de vastes tableaux vivants qui laissaient de côté l'érudition intempestive quand elle n'est pas nécessaire : il lutta notamment contre l'éparpillement de l'esprit et la spécialisation qui empêchent l'esprit de parvenir à des vues synthétiques. Débarrassée de ces obstacles, l'histoire peut ainsi nous instruire sur l'homme et ses facultés, et nous porter à la connaissance universelle de l'humanité. Le travail de l'historien consiste, dans ce but, à définir la Kulturgeschichte ou « l'attitude des hommes d'une certaine époque devant le monde. »

Attaché au libre déploiement des facultés humaines, il tenait en horreur les progrès du capitalisme et le développement de l'esprit de propriété sur les œuvres culturelles (droit d'auteur par exemple) ; il craignait également le prolétariat qu'il estimait hostile à la culture ; il se méfiait de l'État tout-puissant et croyait inévitable le conflit entre prolétaires et capitalistes. Les études historiques selon lui devaient conduire à une contemplation de l'évolution humaine dans un esprit humaniste, mais il considérait lui-même l'histoire, non en esthète indifférent et apolitique, mais en moraliste romantique épris de liberté.

Sa conception individualiste de la culture, et sa prédilection pour les petites républiques de citoyens libres, sa méfiance envers la violence de l'État et le fanatisme des religions monothéistes, son admiration de la Grèce et de la Renaissance, ainsi que son inspiration schopenhauerienne, en font le grand maître de Nietzsche ; ce dernier est, pour ainsi dire, son héritier et son continuateur.

(Ressource Wikipédia)